Ne pas réveiller les lieux
Ne pas réveiller les lieux, ne pas transgresser le silence, l’immobilité.
Le vieux parquet de mélèze se plaint sous mon poids. Une lumière blafarde filtre sous les volets disjoints et éclaire faiblement la pièce. Une discrète odeur de naphtaline baigne la maison de vacances.
Tout semble respirer faiblement. Les lieux s’économisent. Ils ont intégré l’oubli des hommes. Ils ne se sentent même plus délaissés car ils retrouveront leur présence aux beaux jours. Il faut simplement durer pour ne pas périr.
Aucun bruit ne parvient de l’extérieur et ne perturbe la quiétude de l’appartement inoccupé. Il profite du froid qui l’ankylose pour resserrer chacune de ses fibres, pour rassembler chacun des atomes de ses meubles, de ses objets qui le peuplent désormais. Il lutte contre le temps qui œuvre de manière souterraine. Combat inégal d’une peinture défraîchie, d’un plafond qui s’affaisse, d’huisseries qui geignent sous l’effort. Rien ne parait épargné. Des effets imperceptibles. Les cloisons bombées résistent. Les lieux ont su trouver dans le sommeil apparent les ressources d’un nouvel état : l’immobilité comme posture, le silence comme règle. Une forme de spiritualité concrète. Rien ne se passe dans le refus, le renoncement mais par l’action, l’acceptation.
L’intrus y est accueilli, désiré, peut-être. Il peut y trouver sa place pourvu qu’il se fonde dans ce cocon ultime. Le plancher craque à nouveau et résonne dans la crèche feutrée. Les pièces se ressemblent dans leur nudité avenante. Les yeux se sont faits à la pénombre et distinguent l’essentiel. Retour à soi-même dans une maison dont l’âme reste intacte malgré la sauvagerie du monde.
Loin de tout, près de nous.
Apprendre à l’habiter. Apprendre à m’habiter.