La Maison

Fin de journée, journée incontournable ! Oui à ne pas manquer, sous peine de représailles en tous genres. Bon débarras ; mission accomplie, présence, assurer….

L’éternel chewing-gum en guise d’amuse-gueule, disposait dans cet infatigable et incontournable chapeau de cow-boy, avec les sempiternelles paroles de papi : ne vous cassez pas les dents…..

Mami fidèle à son cérémonial, debout face à la méditerranée disant mot pour mot : en ce jour que nous avons fêté, fêtons et fêterons, je bois cet infâme soda au goût dégueulasse qui m’a fait pleurer d’une joie immense, Amen !

Les cigales chantent fort, nous somme trois ce jour-là, un soleil de plomb, mami et papi me regardent avec gravité, un sérieux digne d’un enterrement : nous savons qu’on t’emmerde, ce jour que nous voulons spécial et si possible éternel, sera tellement ancré dans ta cervelle de moineau qu’il te sera difficile d’oublier….

Panique générale où sont les drapeaux ? Pierrot t’as pas fait comme une certaine année j’espère ? Papi intervient, ils servent de sacs à boules, pour me porter chance au concours 20 francs la mise, j’avais oublié…

Toujours ces mêmes saucisses infâmes, une moutarde à faire pleurer dès qu’on la sent, dans ce pain ressemblant aux saucisses, nous voilà éméchés au whisky, tournoyant autour de la table, drapeaux Américains dans une main, hot-dog dans l’autre en criant : « Ils ont débarqué, débarqué, débarqué… »

Un hommage, certes pas conventionnel, dédié au débarquement allié en Normandie, dans cette maison modeste disparue depuis.

Maison vide

Maison vide

Fin des travaux, fin des aménagements, fin du travail des décorateurs. Les clés sont dans ma main. Ouverture de mon appartement-témoin. Les mois peuvent filer, les fins de moi grand luxe avec.

Désormais, je suis en face du tout neuf. Ma vitrine. Une odeur de propre, de peinture à peine sèche. De l'atmosphère emballante. Les pros ont œuvré pour le mieux, le plus vendeur. Que du très convenu : couleurs chaudes dès l'entrée, vers le séjour conçu vaste et très clair. Il est "traversant", un nord côté jardin soigneusement pomponné qu'on peut admirer son bol de café en main, éclatant de bougainvillées bien rangés, un sud à la longue baie coulissante sur une profonde terrasse où le premier plan de géraniums roses dégringole en superbes rideaux vers la baie de Cannes. La longue pièce rutile de murs peints en jaune d'or où le professionnel qui sait y fait a créé un volume d'une belle rondeur, décoré de cercles concentriques à tendance grenat. Il n'y a plus de haut ni de bas, juste de belles surfaces qui donnent envie de chanter l'équilibre ressenti.

Une moitié de l'endroit est destiné au repos confortable ; des divans en forme de U enserrent une table basse où un livre, un journal, un jeu de cartes sont abandonnés. Des coussins volumineux attendent les dos fatigués, des plus petits évoquent toutes les heures à regarder la télé. D'ailleurs, elle est là, sa diagonale 88" accrochée au mur. En dessous, répondant à une préoccupation de pratique, le décorateur a bien pensé, une étagère roulante supporte des bonbonnières avec chocolats, les manettes de Monsieur Samsung. Pour révéler encore mieux l'installation des mètres carrés dans la tête de mes visiteurs, je découvre un grand tapis très contemporain, répondant à sa déclinaison jumelle sous la table de la salle à manger. Longue table ovale, chaises dodues sans vraiment de dates de naissance, cernées par des bibliothèques remplies de livres. De toutes sortes afin de ne pas attirer de commentaires trop connotés des visiteurs. Toujours se préoccuper de leur diversité de goût. Ne pas choquer les intellos se retirant sur la Côte d'Azur avec des lignées de romans de gare mais, inversement, de l'édition Arlequin flattant les gens de tous horizons. Les tableaux aux murs ? Même raisonnement ! Pas vraiment de l'impressionnisme mais pas du Picasso non plus ! Du "dessin" coloriage qui se coule dans toutes les appréciations.

Heureusement, je n'ai pas eu à choisir d'ambiance sonore, le silence est beau. Je me voyais mal me décider entre une gnossienne de Satie et la Vème de Beethoven !

Les chambres persistent dans le convenu : du bleu pâle, du rose tout aussi clair. Les édredons sont en satin, les voilages de tulle transparent bien limpide. Rien qui chahute les bien-pensants, par exemple pas de bureau connotant l'âge de l'occupant.

Passons à la moitié "froide" selon le terme des promoteurs. Salle de bain et salle d'eau pour flatter mes futurs acquéreurs, sont carrelées en 10 x 10 blanc, luisant, d'un célèbre céramiste de Vallauris. Le pratique du "je me lave" est faïencé tout aussi neigeux. Les baignoires ont disparues, démodées parait-il. Dans la version originale, en fait, impossible à enjamber par des guiboles sur le déclin. Comme par ailleurs, la sexualité a quitté leur quotidien, aucun rêve ne rôde autour d'un plongeon très sexy à l'eau chaude baignoire… Minimale broutille, une concession à la modernité avec des douches à l'italienne, vous savez celles sans rebord qui font plaisir aux personnes âgées ayant la pétoche du croc en jambes et puis … tellement plus pratique pour les toutes petites jambes… allant au-devant du traditionnel commentaire, quand je garde mes petits-enfants.

Ouf, nous sommes à même de vanter la lumière naturelle des pièces d'eaux, fenêtre là-aussi. Vous pourrez aérer, l'été profiter du plaisir de l'extérieur…

Mais mon bijou, ce qui me fera vendre tout l'immeuble à toute allure : la cuisine. Classique, dès l'entrée dans le hall, une porte qui s'ouvre et se ferme. Madame arrive avec ses sacs de provision et les abat sur un sol de marbre beige, celui qui pare toute la partie "jour". De longs rectangles disposés en diagonale. Très beau. Le soleil de ce milieu d'après-midi clignote sur ce tapis de pierre où les talons d'escarpins chantent. Ne reste plus que la corvée rangement. Rien à voir avec votre imagination ! C'est une cuisine haut de gamme, de la marque Design Atelier spécialisé dans la déclinaison italienne. Meubles hauts et bas sont couleur ardoise. Ça peut paraître un peu plombé (c'est le cas de le dire) mais pas du tout, d'autant que plans de travail et bar sont eux, recouvert de vraie ardoise, sur des murs vert d'eau. Le profond de l'authentique matière fredonne, entraîné par la corbeille de fruits multicolores et quelques assiettes étiquetées Delft, attendant l'heure du repas.

Le hall d'entrée a été lui aussi fort bien pensé. Peint d'un jaune décliné un peu plus clair par rapport au séjour qu'il distribue sans séparation, grande bouffée lumineuse dès le premier pas. Mes pros y ont disposé des porte-manteaux, clins d'œil à l'époque scolaire. Ces barres aux crochets pratiques qui cernaient les salles de classes. Une différence, les tabliers d'uniforme bleus sont remplacés par une veste authentique Chanel et un lourd manteau de renard argenté. Le futur occupant est presque dans ses murs. Il s'y retrouve…

J'ai fini ma tournée en jetant un coup d'œil aux toilettes assez banales, ma foi et… en découvrant la cerise "on the cake", un dressing tout équipé sur trois côtés avec presque huit mètres d'étagères. Déjà sur le papier des plans, il me faisait rêver mais avec son plafond entièrement éclairé néon…

Les visiteurs n'ont plus qu'à débouler. J'ai refermé la porte d'entrée. Je suis au 4ème étage sur les cinq de l'immeuble. Au-dessus, déjà réservé par un quelconque millionnaire, un loft avec micro-piscine, mini-jardin.

L'ascenseur me dépose dans un silence moderne total à mon bureau de vente sur le jardin.

C'est l'heure d'ouvrir. Tiens, déjà une voiture s'arrête. Le panneau en bord de route alertait : au 1er juillet dès 9 h venez visiter notre appartement témoin ! Téléphone 04…

C'est bon, un coup d'œil à mon allure, elle est importante, elle aussi… Je vais conclure !

La Maison sans personnage

Maison sans personnage

Jour de pluie
Jour de brume
Flip!flap!flip!flap!

Sur la porte en bois lourd de châtaignier où ruissellent les gouttes, une grosse clé de château s'infiltre dans la serrure en fer forgé de la petite maison de pierres encastrée dans le village nid d’aigle. Grincement métallique, grésillement de l’eau. Dans l'obscurité humide, dans les émanations de l'air après l'orage, bouffées de fumée, de terre détrempée, de choses du passé oubliées....odeurs sauvages, odeurs de tanière. Relents de forêt, d'herbes froissées. La main à tâtons cherche l’interrupteur, empoigne un objet redondant en porcelaine blanche, baisse un petit cliquet dans un petit bruit discret et sourd. La lumière s'allume. Une ampoule au bout d'un fil au-dessus d'une table en désordre, deux bols, une cafetière alu, une boîte Petit Lu. Départ précipité. Urgence de la fuite. La poussière, elle, ...couvre, recouvre tout ce qui a été abandonné là.... objets inanimés avez-vous donc une âme ! Le temps mange la vie, la poussière étouffe ce qu'il reste. Avez-vous donc une âme ?

Flip ! Flap!

Parallèle au fil électrique noir, un tourbillon attrape-mouche, spirale collante avec des mouches figées pour l'éternité tient compagnie à l'ampoule. La solitude n'existe pas.
Le regard sur l'ampoule à un mètre environ au-dessus de la table suit le fil apparent qui court au plafond, puis sur le mur jusqu'à l'interrupteur qui s’affiche ostensiblement. Rêverie et contemplation de l’objet inattendu. Présence palpable.
Lumière->ampoule-> interrupteur. Simplicité du parcours. Va et vient irréprochable.
Sentiment de plénitude dans le dépouillement décoratif. Au-dessus de l'évier en pierre, des gouttes perlent aux murs contre la roche. La terre transpire imprégnée de vie souterraine. Une minuscule bulle d'eau semble ne pas vouloir se décrocher du robinet de bronze. 60% d'eau dans le corps humain. Humide dans l'humide. Bien- être aquatique. Le silence devient profond et la lumière un accessoire.

Flip!!!Flap!!!.....

Dans cet espace sombre et mouillé, quelque chose de mystérieux venu des profondeurs envahit le cœur avec la violence d'un torrent en crue.
Trombes d'eau sur le toit. La grotte de Robinson pour abri. Image du corps imprégné de lait caillé qui se faufile dans la matrice de la terre.
Sous le massif évier, un rideau à fleurs dominante rose cache le seau servant de poubelle. Poubelle vidée même dans la hâte... Le même rideau s'étend le long de la paillasse en terre cuite rouge au brillant altéré. Le tissu semble avoir échappé au temps. Paradoxe de l’usure. Le temps a ses favoris. Un tissu neuf donc sous une vieille paillasse patinée contre un mur écaillé et suintant.
Cliquetis de la pluie sur les petits carreaux de la seule et unique fenêtre qui dispense la lumière avec parcimonie .L'univers du flou se joue des lignes. Les gouttes limpides et transparentes glissent. Les étincelles d'eau illuminent le jour cendré. La beauté surgit de l'obscur.

marcher

Marcher dans une maison vide

L'énigme des clés. Trouver celle qui correspond à la serrure. Trois clés, trois serrures. Commencer par la serrure du haut sinon la clé de la serrure du milieu se bloque. La porte de bois et de fer forgé pivote lourdement sur ses gonds.

Frotter ses semelles sur le paillasson de coco avant de franchir le seuil. Essuyer de nouveau ses semelles sur le tapis intérieur. Monter sur la première marche à droite pour pouvoir refermer la porte. Re-clés dans les serrures, clic, clac, ça résonne dans l'escalier. Le grand escalier s'étire mollement, marches de marbre rose taillées sur mesure. Des rosaces se lient et se délient en volutes tout le long de la rampe. Trouver l'interrupteur, l'enclencher. La minuterie bruyante accompagne la montée des marches.
Tout est lisse, marches poncées, murs blancs. Poussières du dehors sur les tapis, poussières du dedans sur le fer forgé de la rampe. Glisser les doigts sur les rosaces et troubler l'ordonnancement des molécules de poussières. Laisser sa marque.
Porte du haut, encore une clé, encore un tapis. Laisser ses chaussures du dehors dans le meuble, enfiler ses chaussures du dedans. Clac. La minuterie s'éteint. Tâtonner sur la droite pour trouver le bouton de la lumière. L'entrée, qui est aussi la sortie, plaque tournante de la vie de la famille. Les odeurs y donnent l'heure. Eau de Cologne, laque des cheveux, café, pain grillé, sauces des petits plats mijotés, chocolat, soupes, gratins. Pas d'odeurs aujourd'hui.

Dans un angle, là où le piano devait être installé, le meuble du téléphone à grosses touches noires et quelques bottins périmés. Un siège Louis quelque chose, dossier rebondi et assise veloutée, aux deux pieds avant garnis de roulettes. Surtout ne pas s'y poser au risque de se casser le cou et briser le fauteuil. C'est pour ne pas monopoliser le téléphone. Sur la gauche un radiateur de fonte aux petits grains rugueux qui accrochent sous la main, froid. Juste au-dessus, un koala et un kangourou invitent à visiter le Queensland, si loin. En face sur le mur un petit tableau de clous et de fils arc-en-ciel, bonne fête maman.

Et puis trois portes vitrées, fermées et sombres comme l'entrée d'un tunnel.

* * *

Les équipages arrivent et s'arrêtent au portail. Les chevaux piaffent, les ânes rechignent, les ânons de quelques jours cherchent les mamelles parfumées et rassurantes. Les femmes s'apostrophent, se saluent en riant, lancent des petites piques aux hommes qui garderont la maison. Les enfants sont excités, ils trépignent sur leur selle mais ont interdiction de mettre un pied à terre.
Une caravane joyeuse et bruyante se forme et s'ébranle cahin-caha.

Belle journée de juin, juste après les moissons. Il ne reste dans les champs que des tiges dorées fières mais décapitées, et quelques grains rescapés. Les insectes et les oiseaux ripaillent à cœur joie dès les premières lueurs de l'aube. C'est dans l'air depuis quelques jours, et dans le hameau les femmes se sont donné le mot.

Grand-mère a préparé tourtes et pains frais, pâtés et jambons, tartes et premiers fruits sucrés, rempli les dames-jeannes de vin et d'eau fraîche. On salive à la promesse de ce pique-nique estival. La joie et l'enthousiasme se propagent dans l'air, assurance de passer un moment exceptionnel. Une fête qui annonce comme une libération des sens.

Les hommes prennent leur part et attachent les énormes paniers d'osier sur les flancs des chevaux et des ânes. Les femmes, Grand-mère et grandes tantes chargent les grandes étoffes, taies d'oreillers, nappes, serviettes de table, serviettes de toilette, … Ce lin qu'elles ont cardé et tissé sur leur métier durant les hivers gris et froids d'une adolescence insouciante.

Le tumulte des flots de la rivière s'amplifie, les animaux assoiffés accélèrent le pas. Arrivés au bord de l'eau, le groupe s'éparpille dans le courant de la rivière. Les femmes réorganisent l'espace, déplacent les pierres, répartissent le travail, houspillent les enfants, attachent les chevaux et s'attellent à leur tâche. Alors seulement la valse des battoirs peut commencer.
Ça frotte, ça savonne, ça splash en tous sens, en rythme parfois.
Ça chante, ça rigole, ça discute, ça éclate de rire, ça rince, ça rit, ça glisse dans l'eau froide, ça houspille. Ça vit !

Les gestes se font plus lents, les battoirs plus lourds dans la chaleur suffocante. Les petits ventres affamés réclament. Les nappes sont dressées à l'ombre des bouleaux. Les femmes déballent les vivres, elles partagent et se régalent avec plaisir, elles mangent comme jamais elles ne le font à la maison. Le vin frais embrume les esprits, avec la fatigue viennent les confidences. Avachies dans l'herbe, les cheveux désordonnés, elles rient d'un rien, laissent les enfants jouer plus loin.
Courte pause, détente somnolente, avant de finir la grande lessive.
Le rythme est moins soutenu à la reprise, les enfants plus calmes. On rit moins fort, l'heure tourne.

Le soleil plonge inexorablement sur une journée particulière. Le linge étendu sur les blés coupés, resplendit telle la nappe d'un gigantesque pique-nique. Enfin s'expose avec fierté cette blancheur immaculée que la lune sublimera.

après la grille

Après la grille

Mona arrive comme chaque jour de la semaine à 8h00 précise. Elle se gare facilement. A 8h02 elle sonne et pousse la grille du jardin. Elle entre sous le bruit grinçant des charnières rouillées, mises en action après la nuit humide. Vieille porte d'une vieille demeure à l'agonie, passage codé dans un autre monde, celui de Jacqueline.

Jacqueline attend fébrile, l'arrivée de la jeune femme. Ses nuits courtes l'alourdissent. Ses pensées tournent en rondes infernales, enfermées, encerclées, pas de sortie. Elle lance quelques fois des mots à haute voix pour libérer la pression. Ils fendent le noir et le silence d'un coup sec. Pas de réponse. Elle est folle la nuit. La première sonnette du matin, c'est l'ancre jetée, la voile qui se baisse, les amarres qui se fixent. Le bateau ivre se calme. La vie va reprendre.

La grille passée, Mona monte quatre à quatre les quelques marches du perron, sort sa clé et entre dans la demeure. Elle sait ce qui l'attend et pourtant, une petite boule s'installe au creux de son ventre, une sensation oppressante que quelque chose lui échappe.

– « Bonjour Jacqueline, c'est moi ! J'arrive tout de suite. »

Elle jette ces mots comme elle a mis la clé dans la serrure. Ne pas oublier le protocole. Ne pas l'angoisser, ne pas l'effrayer. Elle se dépêche d'ouvrir les volets et de laisser les fenêtres ouvertes.

Elle joue chaque matin ce rituel de purification pour chasser l'obscurité collante, pesante et l'odeur de vie à l'écart qui moisit sur les murs.

– « Bonjour Mona. Viens ma petite.»

Mona s'approche. La vieille femme lui colle un baiser lourd et appuyé, flanqué de cette odeur, humée à l'entrée. Elle s'éloigne vite.

– « Je vais préparer votre petit déjeuner. Jus d'orange aujourd'hui ? »

Il est facile d'imaginer l'effervescence passée de cette cuisine. Elle est immense, chaque placard déborde d'une vaisselle aussi vieille que précieuse. Pourtant le calme règne et chaque mouvement de Mona, chaque bruit, emplit la pièce d'un trop qui marque une absence incrustée, un écho perpétuel. Mona commence toujours par préparer le café avec méthode. Mettre de l'eau à bouillir, sortir le thermos et le filtre plastique, y mettre le filtre papier, trois doses de café et lorsque l'eau bout, verser. Vive ma Nespresso et son agitation de moteur de vapeur et de mousse. Mais Jacqueline c'est ce café là qu'elle veut. Deux tartines grillées. Le miel et ce matin le jus d'orange car elle a dit « oui ».

– « Tout est prêt je viens vous chercher. »

La boule se resserre un peu plus, Mona n'entend pas de réponse. Elle remonte le long couloir d'un pas retenu, de peur qu'une course incontrôlée puisse affoler Jacqueline.

Elle passe lentement son visage à la porte comme elle soulèverait le voile sur un vieux secret. Jacqueline devrait être assise sur le rebord de son lit. Mona devrait prendre le peignoir accroché derrière la porte et l'aider à l'enfiler. Puis, toutes deux, devraient aller bras dessus dessous jusqu'à la cuisine, au rythme lent des forces qui vous lâchent. Là enfin, elles devraient ensemble parler de ces petits riens qui allègent, de ces riens du tout qui dans cette maison deviennent des « tous » solides. Quelques sourires, quelques rires pourraient même ensoleiller ce lever pathétique et tendre. Le facteur devrait dans quelques minutes, actionner pour la deuxième fois de la matinée, la sonnette de la grille. Louis monte le courrier chaque jour. Il s'assoit et sirote son café. Il aime Mona et il ne manquerait ce rituel, pour rien au monde.

La sonnette retentit et sort Mona de sa torpeur. Elle court ouvrir la porte. Elle a besoin de Louis. Elle a besoin de ses bras. Elle a besoin de sa chaleur. Elle va le laisser faire aujourd'hui. Elle a envie de ses lèvres. Elle a envie qu'il la serre tout contre lui. Elle a peur, elle est affolée Mona. Elle veut pleurer mais elle n'y arrive pas. Elle suffoque. Elle ne voit plus rien. Elle sent juste sa main sur la poignée froide, une légère brise caresser son visage. Elle se laisse tomber dans ses bras et s'écroule en larmes. Il embrasse son front à la façon de ceux qui comprennent. Ce baiser la rassure et l'éclaire. Elle sait que tout a changé juste parce qu'une petite boule a disparu.

* * *

L’atelier

S'affranchir du pas de la porte. La poignée s'expose, couleur fer, fer rouillé, fer poli, fer froid, fer épais. La main va l'actionner, couleur peau, claire, fine, battante, tendue. Le mécanisme s'enclenche dans un léger bruit, la pointe du manche vers le bas, comme un axe de direction. Les doigts relâchent l'étreinte.

Ils se colorent, deviennent plus foncés, se froncent de petits plis cutanés. Ils se détendent, à plat sur le métal, à la verticale, armés du bras et du poignet ils poussent, l'engrenage se meut et elle cède. La porte de bois et de métal harnachée, dégage le seuil et ouvre l'espace. Au sol les tomettes rouges.

L'empreinte des joints que l'on imagine grise, comblée de copeaux et de brisures se répand et chemine comme un réseau hydraulique. Les carreaux de terre cuite deviennent par endroit des îles, éjectées par la poussière, des terres vivantes et volcaniques, des tâches rouge-sang qui viennent nourrir l'espace irrespirable, d'oxygène purifiant.

La sciure est sale, lourde, fade et sans odeur. Elle marque sa longue agonie. La pièce résonne du vide laissé. Les murs trapus, formés de lourdes pierres, s'élancent vers des hauteurs inhabituelles, défiant la médiocrité. Des bouts de ficelles, des cordelettes dorment sur le sol, mêlées, entrelacées, parsemées de vieux clous et de débris sans origine. Un seau reçoit des gouttes d'eau qui claquent, lâchées de ce plafond inaccessible même du regard. Les poutres les plus proches, imposent leur suprématie sur celles que l'on distingue à peine, happées par l'obscurité, endormies, empêchées.

Jusqu'au milieu de l'endroit, une série de traces de pas larges puissants, ternis par les retombées du temps éclaté, forment un passage sure, libéré des pièges invisibles. Un tabouret renversé se donne à l'observation, impudique, relâché de tout. Un opinel, plié en fœtus momifié, traîne à ses pieds. L’entrebâillement de la porte laisse passer une brise légère. Une corde accrochée bouge. Elle grince en se frottant sur la poutre. Liés, enlacés, entraînés dans un corps à corps brûlant, ils s'échauffent, se tendent, se mêlent dans un soupir et lâchent un gémissement, fin d'un mouvement rythmé, balancé, que plus rien ne sollicite, orphelin de l'autre, ils se calment dans un dernier râle, doucement se figent dans une fin provisoire, étendue.

Ici le vide s'est amplifié. Il s’est engrossé, gravide à l'infini d'un secret. La main sur la poignée. A nouveau, le fer, la peau tendue. L'axe du manche à l'horizontale. Refermé.

* * *

La Maison

La Maison

La porte de la chambre est fermée. La poignée est toujours froide, ronde dans la main qui l’enserre, douce au toucher : une poignée en porcelaine blanche avec des petites roses, peintes envahissent mes yeux, fermés eux aussi. L’image d’une petite fille, trop petite pour atteindre cette poignée arrive brutalement, ainsi que les cris de colère devant cette porte qui ne s’ouvre pas. Je garde les paupières closes et je tâte les rainures du bois, mes doigts accrochent sur les écailles de peinture. Un parfum un peu dénaturé flotte autour. Est-ce qu’il persiste dans la maison vide ? Ou bien le souvenir me le revoie brutalement ?

                Je tourne la poignée en porcelaine, la serrure est bloquée : la porte est seulement poussée. Les paupières toujours baissées, j’entre dans la chambre des parents. Je sens. J’écoute. Le vide a un son de solitude et d’absence. Je crie….Ah ! Il inonde la pièce la pièce d’un bruit mat et cogne contre les murs. Le son de mon cri a soulevé et ventilé l’air de la chambre et le parfum de ma mère a envahi mes narines.

                Mes doigts touchent, tâtent la surface tapissée des murs, le papier est gondolé, grumeleux. La pièce est humide. Mes pas sur le sol sont incertains, le carrelage est cassé, en partie évaporé. Je crois faire le tour des murs, mais je sens le vide, une goutte d’eau sonne le glas ; en tombant, elle crée une présence dans le silence. Enfin j’ouvre les yeux. Une petite clarté sombre filtre à travers les persiennes et les carreaux poussiéreux. L’espace est grand et lamentablement vide. Des morceaux de plâtre, tombés du plafond, gisent sur le sol, ou pendent encore comme des grosses chandelles retournées. A travers les lattes le ciel se fait tout petit. Des taches humides dessinent des arabesques.

                Assise sur ce qui reste de la douche, je ferme à nouveau les yeux et j’écoute ; la goutte d’eau qui tombe, mesure avec régularité le temps qui a passé.

Maison territoire

Maison –territoire

Une maison de tissage et de liens, selon les moments et les jours… qu’a-t-elle à me susurrer ? De douce quiétude habitée, arrimée derrière la fenêtre délicatement givrée, je consens au solaire et à la lecture du vent.
Le yucca chahute pins et sapins, rythmant la fenêtre de motifs circulaires.
Et si dedans était en partage …
L’essentiel, ce sont, peut-être, les portes. Porte d’entrée, de sortie. Un monde de remous, de légèreté et de rumeurs assumées.
Va-t-on mettre une porte là, en déposer une ici, réduire celle- là ?
A cet endroit, j’aurai peur de me heurter. Mais là, aussi, j’aurai peur qu’elle heurte la Vie, qu’elle l’empêche d’entrer. Faire, installer, fixer… peut-être rien. Regarder, faire une découpe dans l’espace, faire un arrangement avec la Vie. Voir loin. Voir auprès de.
Découvrir le pré. Saisir l’herbe enchanteresse, arracher l’herbe diablesse.
Grand aplat de vert acide. Collerettes de pâquerettes.
Un souvenir de bal, de dentelles sur les épaules, de boutons vernis, ronds, dorés.
Une musique en valse tournoyante. Nous.
La maison, elle glisse sous les pieds, elle est tout en longueur, en longueur de temps. En langueur de dire.
La maison abasourdie, parfois pleine, en maternité, parfois pétioles de silences.
Chuchotements, tout s’y attend ! Tout s’y prend !
Tout s’y donne. Une respiration de pluie, de gouttes oblongues.
Toute cette lumière qui flirte avec ce grand territoire, vision de champs de houblon.
Mais aussi, le tout-petit, lieu ouvert à l’angle droit où l’ombre dévore la colonne montante au grain-grès de poussière, envol d’un gris -tourterelle.
La maison, la liberté. La liberté d’être. Un, une, plusieurs. La respiration d’une vie, le translucide d’un partage qui retient.
Le Grand Départ déplacé, un lieu où il est totalement permis d’être dans son entièreté.
Peut-être que cette teinte rose passé, du bas des murs, évoque la douceur, le duvet de la vacance.
En tout état de lieu, faire l’état. L’état de Soi, du Présent, du Futur. Un point. Un silence sinueux qui arrête votre marche. Une interrogation ? Elle s’accroche au plafond.
Drôles de lampe. Drôle d’ampoules. La forme en impose, elle n’éclaire pas mais écrase le sol où les pieds sont joints. Cette rangée d’ampoules, à l’horizontale située, soudain agace, dérange. Chaque lumière ne peut diffuser son grand jupon, chacune étouffe la danse de l’autre. Qui pense que la lumière est rectiligne ? La lumière s’étend, s’étale, se rétracte, s’avance, se retire. C’est une mer de curiosité, avec ses vagues, ses ressacs, où surfe l’ombre fertile du calme, du retrait, de la formation de la chrysalide de fin de journée. Se pencher en avant, entendre la réponse du parquet qui grince. En arrière. C’est soudain, gentiment, un balancement de l’enfance qui vous revient. Balançoire du Temps, me voici ma propre Mère. Les murs porteurs, quatre bras qui retiennent ensemble l’alcôve.
Chers murs, parois de limites qui ne donnent aucune limite à l’âme, tricoteuse de pensées. Petites choses matérielles passagères. Le passage, d’une porte à l’autre, qui attend. Curieusement, une serrure est en forme de dragon, quel voyage a amené cela ?
La neige glisse sur la vitre, chantonne la surprise de l’hiver. Le regard mi-clos joue du paisible avec l’habitante en état de rêverie.
Le souffle du repos s’étend en tous points de fuite et offre la reconnaissance de tous les territoires.

maison 1

Ne pas réveiller les lieux

Ne pas réveiller les lieux, ne pas transgresser le silence, l’immobilité.

                Le vieux parquet de mélèze se plaint sous mon poids. Une lumière blafarde filtre sous les volets disjoints et éclaire faiblement la pièce. Une discrète odeur de naphtaline baigne la maison de vacances.

                Tout semble respirer faiblement. Les lieux s’économisent. Ils ont intégré l’oubli des hommes. Ils ne se sentent même plus délaissés car ils retrouveront leur présence aux beaux jours. Il faut simplement durer pour ne pas périr.

Aucun bruit ne parvient de l’extérieur et ne perturbe la quiétude de l’appartement inoccupé. Il profite du froid qui l’ankylose pour resserrer chacune de ses fibres, pour rassembler chacun des atomes de ses meubles, de ses objets qui le peuplent désormais. Il lutte contre le temps qui œuvre de manière souterraine. Combat inégal d’une peinture défraîchie, d’un plafond qui s’affaisse, d’huisseries qui geignent sous l’effort. Rien ne parait épargné. Des effets imperceptibles. Les cloisons bombées résistent. Les lieux ont su trouver dans le sommeil apparent les ressources d’un nouvel état : l’immobilité comme posture, le silence comme règle. Une forme de spiritualité concrète. Rien ne se passe dans le refus, le renoncement mais par l’action, l’acceptation.

L’intrus y est accueilli, désiré, peut-être. Il peut y trouver sa place pourvu qu’il se fonde dans ce cocon ultime. Le plancher craque à nouveau et résonne dans la crèche feutrée. Les pièces se ressemblent dans leur nudité avenante. Les yeux se sont faits à la pénombre et distinguent l’essentiel. Retour à soi-même dans une maison dont l’âme reste intacte malgré la sauvagerie du monde.

Loin de tout, près de nous.

 Apprendre à l’habiter. Apprendre à m’habiter.