Fin de journée, journée incontournable ! Oui à ne pas manquer, sous peine de représailles en tous genres. Bon débarras ; mission accomplie, présence, assurer….
L’éternel chewing-gum en guise d’amuse-gueule, disposait dans cet infatigable et incontournable chapeau de cow-boy, avec les sempiternelles paroles de papi : ne vous cassez pas les dents…..
Mami fidèle à son cérémonial, debout face à la méditerranée disant mot pour mot : en ce jour que nous avons fêté, fêtons et fêterons, je bois cet infâme soda au goût dégueulasse qui m’a fait pleurer d’une joie immense, Amen !
Les cigales chantent fort, nous somme trois ce jour-là, un soleil de plomb, mami et papi me regardent avec gravité, un sérieux digne d’un enterrement : nous savons qu’on t’emmerde, ce jour que nous voulons spécial et si possible éternel, sera tellement ancré dans ta cervelle de moineau qu’il te sera difficile d’oublier….
Panique générale où sont les drapeaux ? Pierrot t’as pas fait comme une certaine année j’espère ? Papi intervient, ils servent de sacs à boules, pour me porter chance au concours 20 francs la mise, j’avais oublié…
Toujours ces mêmes saucisses infâmes, une moutarde à faire pleurer dès qu’on la sent, dans ce pain ressemblant aux saucisses, nous voilà éméchés au whisky, tournoyant autour de la table, drapeaux Américains dans une main, hot-dog dans l’autre en criant : « Ils ont débarqué, débarqué, débarqué… »
Un hommage, certes pas conventionnel, dédié au débarquement allié en Normandie, dans cette maison modeste disparue depuis.
Maison(s) : du dehors au-dedans
Maison sans personnage
Marcher dans une maison vide
Après la grille
Mona arrive comme chaque jour de la semaine à 8h00 précise. Elle se gare facilement. A 8h02 elle sonne et pousse la grille du jardin. Elle entre sous le bruit grinçant des charnières rouillées, mises en action après la nuit humide. Vieille porte d'une vieille demeure à l'agonie, passage codé dans un autre monde, celui de Jacqueline.
Jacqueline attend fébrile, l'arrivée de la jeune femme. Ses nuits courtes l'alourdissent. Ses pensées tournent en rondes infernales, enfermées, encerclées, pas de sortie. Elle lance quelques fois des mots à haute voix pour libérer la pression. Ils fendent le noir et le silence d'un coup sec. Pas de réponse. Elle est folle la nuit. La première sonnette du matin, c'est l'ancre jetée, la voile qui se baisse, les amarres qui se fixent. Le bateau ivre se calme. La vie va reprendre.
La grille passée, Mona monte quatre à quatre les quelques marches du perron, sort sa clé et entre dans la demeure. Elle sait ce qui l'attend et pourtant, une petite boule s'installe au creux de son ventre, une sensation oppressante que quelque chose lui échappe.
– « Bonjour Jacqueline, c'est moi ! J'arrive tout de suite. »
Elle jette ces mots comme elle a mis la clé dans la serrure. Ne pas oublier le protocole. Ne pas l'angoisser, ne pas l'effrayer. Elle se dépêche d'ouvrir les volets et de laisser les fenêtres ouvertes.
Elle joue chaque matin ce rituel de purification pour chasser l'obscurité collante, pesante et l'odeur de vie à l'écart qui moisit sur les murs.
– « Bonjour Mona. Viens ma petite.»
Mona s'approche. La vieille femme lui colle un baiser lourd et appuyé, flanqué de cette odeur, humée à l'entrée. Elle s'éloigne vite.
– « Je vais préparer votre petit déjeuner. Jus d'orange aujourd'hui ? »
Il est facile d'imaginer l'effervescence passée de cette cuisine. Elle est immense, chaque placard déborde d'une vaisselle aussi vieille que précieuse. Pourtant le calme règne et chaque mouvement de Mona, chaque bruit, emplit la pièce d'un trop qui marque une absence incrustée, un écho perpétuel. Mona commence toujours par préparer le café avec méthode. Mettre de l'eau à bouillir, sortir le thermos et le filtre plastique, y mettre le filtre papier, trois doses de café et lorsque l'eau bout, verser. Vive ma Nespresso et son agitation de moteur de vapeur et de mousse. Mais Jacqueline c'est ce café là qu'elle veut. Deux tartines grillées. Le miel et ce matin le jus d'orange car elle a dit « oui ».
– « Tout est prêt je viens vous chercher. »
La boule se resserre un peu plus, Mona n'entend pas de réponse. Elle remonte le long couloir d'un pas retenu, de peur qu'une course incontrôlée puisse affoler Jacqueline.
Elle passe lentement son visage à la porte comme elle soulèverait le voile sur un vieux secret. Jacqueline devrait être assise sur le rebord de son lit. Mona devrait prendre le peignoir accroché derrière la porte et l'aider à l'enfiler. Puis, toutes deux, devraient aller bras dessus dessous jusqu'à la cuisine, au rythme lent des forces qui vous lâchent. Là enfin, elles devraient ensemble parler de ces petits riens qui allègent, de ces riens du tout qui dans cette maison deviennent des « tous » solides. Quelques sourires, quelques rires pourraient même ensoleiller ce lever pathétique et tendre. Le facteur devrait dans quelques minutes, actionner pour la deuxième fois de la matinée, la sonnette de la grille. Louis monte le courrier chaque jour. Il s'assoit et sirote son café. Il aime Mona et il ne manquerait ce rituel, pour rien au monde.
La sonnette retentit et sort Mona de sa torpeur. Elle court ouvrir la porte. Elle a besoin de Louis. Elle a besoin de ses bras. Elle a besoin de sa chaleur. Elle va le laisser faire aujourd'hui. Elle a envie de ses lèvres. Elle a envie qu'il la serre tout contre lui. Elle a peur, elle est affolée Mona. Elle veut pleurer mais elle n'y arrive pas. Elle suffoque. Elle ne voit plus rien. Elle sent juste sa main sur la poignée froide, une légère brise caresser son visage. Elle se laisse tomber dans ses bras et s'écroule en larmes. Il embrasse son front à la façon de ceux qui comprennent. Ce baiser la rassure et l'éclaire. Elle sait que tout a changé juste parce qu'une petite boule a disparu.
* * *
L’atelier
S'affranchir du pas de la porte. La poignée s'expose, couleur fer, fer rouillé, fer poli, fer froid, fer épais. La main va l'actionner, couleur peau, claire, fine, battante, tendue. Le mécanisme s'enclenche dans un léger bruit, la pointe du manche vers le bas, comme un axe de direction. Les doigts relâchent l'étreinte.
Ils se colorent, deviennent plus foncés, se froncent de petits plis cutanés. Ils se détendent, à plat sur le métal, à la verticale, armés du bras et du poignet ils poussent, l'engrenage se meut et elle cède. La porte de bois et de métal harnachée, dégage le seuil et ouvre l'espace. Au sol les tomettes rouges.
L'empreinte des joints que l'on imagine grise, comblée de copeaux et de brisures se répand et chemine comme un réseau hydraulique. Les carreaux de terre cuite deviennent par endroit des îles, éjectées par la poussière, des terres vivantes et volcaniques, des tâches rouge-sang qui viennent nourrir l'espace irrespirable, d'oxygène purifiant.
La sciure est sale, lourde, fade et sans odeur. Elle marque sa longue agonie. La pièce résonne du vide laissé. Les murs trapus, formés de lourdes pierres, s'élancent vers des hauteurs inhabituelles, défiant la médiocrité. Des bouts de ficelles, des cordelettes dorment sur le sol, mêlées, entrelacées, parsemées de vieux clous et de débris sans origine. Un seau reçoit des gouttes d'eau qui claquent, lâchées de ce plafond inaccessible même du regard. Les poutres les plus proches, imposent leur suprématie sur celles que l'on distingue à peine, happées par l'obscurité, endormies, empêchées.
Jusqu'au milieu de l'endroit, une série de traces de pas larges puissants, ternis par les retombées du temps éclaté, forment un passage sure, libéré des pièges invisibles. Un tabouret renversé se donne à l'observation, impudique, relâché de tout. Un opinel, plié en fœtus momifié, traîne à ses pieds. L’entrebâillement de la porte laisse passer une brise légère. Une corde accrochée bouge. Elle grince en se frottant sur la poutre. Liés, enlacés, entraînés dans un corps à corps brûlant, ils s'échauffent, se tendent, se mêlent dans un soupir et lâchent un gémissement, fin d'un mouvement rythmé, balancé, que plus rien ne sollicite, orphelin de l'autre, ils se calment dans un dernier râle, doucement se figent dans une fin provisoire, étendue.
Ici le vide s'est amplifié. Il s’est engrossé, gravide à l'infini d'un secret. La main sur la poignée. A nouveau, le fer, la peau tendue. L'axe du manche à l'horizontale. Refermé.
* * *
La Maison
La porte de la chambre est fermée. La poignée est toujours froide, ronde dans la main qui l’enserre, douce au toucher : une poignée en porcelaine blanche avec des petites roses, peintes envahissent mes yeux, fermés eux aussi. L’image d’une petite fille, trop petite pour atteindre cette poignée arrive brutalement, ainsi que les cris de colère devant cette porte qui ne s’ouvre pas. Je garde les paupières closes et je tâte les rainures du bois, mes doigts accrochent sur les écailles de peinture. Un parfum un peu dénaturé flotte autour. Est-ce qu’il persiste dans la maison vide ? Ou bien le souvenir me le revoie brutalement ?
Je tourne la poignée en porcelaine, la serrure est bloquée : la porte est seulement poussée. Les paupières toujours baissées, j’entre dans la chambre des parents. Je sens. J’écoute. Le vide a un son de solitude et d’absence. Je crie….Ah ! Il inonde la pièce la pièce d’un bruit mat et cogne contre les murs. Le son de mon cri a soulevé et ventilé l’air de la chambre et le parfum de ma mère a envahi mes narines.
Mes doigts touchent, tâtent la surface tapissée des murs, le papier est gondolé, grumeleux. La pièce est humide. Mes pas sur le sol sont incertains, le carrelage est cassé, en partie évaporé. Je crois faire le tour des murs, mais je sens le vide, une goutte d’eau sonne le glas ; en tombant, elle crée une présence dans le silence. Enfin j’ouvre les yeux. Une petite clarté sombre filtre à travers les persiennes et les carreaux poussiéreux. L’espace est grand et lamentablement vide. Des morceaux de plâtre, tombés du plafond, gisent sur le sol, ou pendent encore comme des grosses chandelles retournées. A travers les lattes le ciel se fait tout petit. Des taches humides dessinent des arabesques.
Assise sur ce qui reste de la douche, je ferme à nouveau les yeux et j’écoute ; la goutte d’eau qui tombe, mesure avec régularité le temps qui a passé.
Maison –territoire
Une maison de tissage et de liens, selon les moments et les jours… qu’a-t-elle à me susurrer ? De douce quiétude habitée, arrimée derrière la fenêtre délicatement givrée, je consens au solaire et à la lecture du vent.
Le yucca chahute pins et sapins, rythmant la fenêtre de motifs circulaires.
Et si dedans était en partage …
L’essentiel, ce sont, peut-être, les portes. Porte d’entrée, de sortie. Un monde de remous, de légèreté et de rumeurs assumées.
Va-t-on mettre une porte là, en déposer une ici, réduire celle- là ?
A cet endroit, j’aurai peur de me heurter. Mais là, aussi, j’aurai peur qu’elle heurte la Vie, qu’elle l’empêche d’entrer. Faire, installer, fixer… peut-être rien. Regarder, faire une découpe dans l’espace, faire un arrangement avec la Vie. Voir loin. Voir auprès de.
Découvrir le pré. Saisir l’herbe enchanteresse, arracher l’herbe diablesse.
Grand aplat de vert acide. Collerettes de pâquerettes.
Un souvenir de bal, de dentelles sur les épaules, de boutons vernis, ronds, dorés.
Une musique en valse tournoyante. Nous.
La maison, elle glisse sous les pieds, elle est tout en longueur, en longueur de temps. En langueur de dire.
La maison abasourdie, parfois pleine, en maternité, parfois pétioles de silences.
Chuchotements, tout s’y attend ! Tout s’y prend !
Tout s’y donne. Une respiration de pluie, de gouttes oblongues.
Toute cette lumière qui flirte avec ce grand territoire, vision de champs de houblon.
Mais aussi, le tout-petit, lieu ouvert à l’angle droit où l’ombre dévore la colonne montante au grain-grès de poussière, envol d’un gris -tourterelle.
La maison, la liberté. La liberté d’être. Un, une, plusieurs. La respiration d’une vie, le translucide d’un partage qui retient.
Le Grand Départ déplacé, un lieu où il est totalement permis d’être dans son entièreté.
Peut-être que cette teinte rose passé, du bas des murs, évoque la douceur, le duvet de la vacance.
En tout état de lieu, faire l’état. L’état de Soi, du Présent, du Futur. Un point. Un silence sinueux qui arrête votre marche. Une interrogation ? Elle s’accroche au plafond.
Drôles de lampe. Drôle d’ampoules. La forme en impose, elle n’éclaire pas mais écrase le sol où les pieds sont joints. Cette rangée d’ampoules, à l’horizontale située, soudain agace, dérange. Chaque lumière ne peut diffuser son grand jupon, chacune étouffe la danse de l’autre. Qui pense que la lumière est rectiligne ? La lumière s’étend, s’étale, se rétracte, s’avance, se retire. C’est une mer de curiosité, avec ses vagues, ses ressacs, où surfe l’ombre fertile du calme, du retrait, de la formation de la chrysalide de fin de journée. Se pencher en avant, entendre la réponse du parquet qui grince. En arrière. C’est soudain, gentiment, un balancement de l’enfance qui vous revient. Balançoire du Temps, me voici ma propre Mère. Les murs porteurs, quatre bras qui retiennent ensemble l’alcôve.
Chers murs, parois de limites qui ne donnent aucune limite à l’âme, tricoteuse de pensées. Petites choses matérielles passagères. Le passage, d’une porte à l’autre, qui attend. Curieusement, une serrure est en forme de dragon, quel voyage a amené cela ?
La neige glisse sur la vitre, chantonne la surprise de l’hiver. Le regard mi-clos joue du paisible avec l’habitante en état de rêverie.
Le souffle du repos s’étend en tous points de fuite et offre la reconnaissance de tous les territoires.
Ne pas réveiller les lieux
Ne pas réveiller les lieux, ne pas transgresser le silence, l’immobilité.
Le vieux parquet de mélèze se plaint sous mon poids. Une lumière blafarde filtre sous les volets disjoints et éclaire faiblement la pièce. Une discrète odeur de naphtaline baigne la maison de vacances.
Tout semble respirer faiblement. Les lieux s’économisent. Ils ont intégré l’oubli des hommes. Ils ne se sentent même plus délaissés car ils retrouveront leur présence aux beaux jours. Il faut simplement durer pour ne pas périr.
Aucun bruit ne parvient de l’extérieur et ne perturbe la quiétude de l’appartement inoccupé. Il profite du froid qui l’ankylose pour resserrer chacune de ses fibres, pour rassembler chacun des atomes de ses meubles, de ses objets qui le peuplent désormais. Il lutte contre le temps qui œuvre de manière souterraine. Combat inégal d’une peinture défraîchie, d’un plafond qui s’affaisse, d’huisseries qui geignent sous l’effort. Rien ne parait épargné. Des effets imperceptibles. Les cloisons bombées résistent. Les lieux ont su trouver dans le sommeil apparent les ressources d’un nouvel état : l’immobilité comme posture, le silence comme règle. Une forme de spiritualité concrète. Rien ne se passe dans le refus, le renoncement mais par l’action, l’acceptation.
L’intrus y est accueilli, désiré, peut-être. Il peut y trouver sa place pourvu qu’il se fonde dans ce cocon ultime. Le plancher craque à nouveau et résonne dans la crèche feutrée. Les pièces se ressemblent dans leur nudité avenante. Les yeux se sont faits à la pénombre et distinguent l’essentiel. Retour à soi-même dans une maison dont l’âme reste intacte malgré la sauvagerie du monde.
Loin de tout, près de nous.
Apprendre à l’habiter. Apprendre à m’habiter.